Magnifique.

C'était sûrement le mot qui décrivait le mieux cette journée ; en effet, le ciel d'un bleu incroyable, dénué du moindre nuage, laissait le soleil resplendissant se lever lentement pour venir baigner de sa lumière la capitale endormie. Les rues s'éveillaient d'ailleurs en même temps que l'astre de jour, les habitants sortant peu à peu de chez eux pour venir animer la ville de par leurs activités matinales. De plus, aujourd'hui était jour de fête.

Pas une grande fête officielle, préparée depuis longtemps par nombre de talentueux citoyens travailleurs, mais plutôt une sorte de petit rassemblement improvisé, tandis que les commerçants déployaient leurs étals et que de la musique envahissait peu à peu le centre-ville. Bien vite, la rue fut bondée, tous les riverains semblant s'être donnés le mot pour se lever le plus rapidement possible et rejoindre les festivités. Dans la rue, on parlait, on riait, on s'extasiait devant les musiciens itinérants défilants dans les rues au rythme entraînant de leur propre musique, tandis que les vendeurs en profitaient pour animer leurs étals extérieurs et se faire de nouveaux clients.

Et c'est précisément au cœur de toute cette joyeuse agitation que se trouvait Clara, ce matin-là. Épée au flanc, elle avait laissé sa cape chez elle, la journée s'annonçant radieuse, et parcourait donc la rue principale vêtue de sa robe favorite et d'une haute paire de bottes bleu pâle montant jusqu'aux genoux. Comme à son habitude, elle avait accroché sa clef à sa ceinture, dissimulée entre l'étoffe de son vêtement et la large bande de cuir mauve, histoire d'être plus tranquille – pas de risque de la perdre ou de se la faire dérober.

De toute manière, la jeune fille était trop subjuguée par ce qu'elle voyait pour prêter attention à ça, sur le moment : admirant le spectacle de deux petites jongleuses pourtant terriblement douées, elle ne pouvait s'empêcher de les suivre dans leur défilé, esquissant de temps à autre de légers pas de danse qui ponctuaient sa marche de manière entraînante. A vrai dire, elle était impressionnée par le jeune musicien qui accompagnait les deux filles, un jeune garçon de tout au plus une dizaine d'années, dont les talents de flûtiste se faisaient, sur le moment, apprécier de la foule peuplant la rue. Accompagnant les autres saltimbanques, le drôle de cortège se contentait d'avancer sans destination précise, ignorant qu'une demoiselle aux cheveux gris improvisait un semblant de ballet à leur suite.

Continuant à parcourir la rue, les artistes finirent par s'installer dans un espace libre d'étals, tandis que le petit flûtiste faisait une pause, aussitôt imité par ses compères jongleuses. Tandis que les trois enfants se reposaient à l'ombre d'une échoppe, la Venister vint les féliciter chaudement, éblouie qu'elle était par le talent de ces trois jeunes gens. Les deux demoiselles lui avaient répondu un rapide «Merci», balbutiant quelque peu sous la gêne du compliment, tandis que le musicien restait silencieux, les yeux rivés sur l'arme que l'argentée portait au flanc droit. Ne s'en apercevant pas, cette dernière leur sourit une dernière fois avant de faire demi-tour, sans sentir la différence soudaine de poids à sa taille ni entendre les chuchotements mi-surpris mi-réprobateurs dans son dos.

Ce n'est que quand elle vit le petit flûtiste s'enfuir à toutes jambes, un fourreau et son arme dans les mains, qu'elle réalisa qu'il lui manquait légèrement quelque chose. Alarmée, Clara vérifia aussitôt qu'elle avait encore sa clefs ; heureusement, c'était le cas, et elle prit immédiatement le petit en chasse. Était-elle si mal réveillée pour ne pas se rendre compte qu'on la délestait ainsi de ses biens ? Néanmoins, le jeune briguant devait faire preuve de talents hors-pair dans la rapine, pour avoir réussi à la voler ainsi. Courant à toute jambe à sa suite, elle se frayait agilement un chemin à travers la foule, mais le garçon était plus petit et plus à même de passer entre les gens : de plus, sa taille d'enfant empêchait sa poursuivante de le voir correctement. Agacée, elle posa sa main sur sa ceinture, serrant ses doigts à l'emplacement de sa clef, par un réflexe purement instinctif. Elle n'allait pas utiliser son pouvoir pour stopper un môme, quand même ?

Soupirant, elle tenta d'accélérer, mais la foule dense l'empêchait d'atteindre une vitesse correcte ou même de rejoindre les boutiques, histoire de passer par les toits. N'ayant d'autre option, Clara prit une grande inspiration, écartant un peu brusquement une petite vieille faisant ses courses du chemin, avant de beugler d'une voix parfaitement audible :

- Mais arrêtez ce gamin, bon sang !

Personne ne semblait réagir, peut-être trop interloqués devant la scène ou trop peu intéressés par l'affaire ; quoi qu'il en soit, Clara se retrouvait contrainte à poursuivre un gosse pickpocket pour récupérer son arme. Tss, quelle plaie … Intérieurement, elle pestait à l'égard du petit dont la bouille innocente et les étonnants talents de musicien l'avaient impressionnée. Comme quoi il faut se méfier des apparences.

C'est quand une vague sortie de nul part lui passa sous le nez pour aller s'échouer contre le petit voleur, le faisant tomber sur les fesses, que Clara stoppa sa course, surprise. Que venait-il de se passer, au juste ? Le gamin, détrempé, avait lâché l'arme et regardait cette dernière sans comprendre, clignant des yeux. Tandis que la Venister se rapprochait de lui avec l'intention de récupérer son bien, une demoiselle qui devait avoir son âge fut plus rapide qu'elle, s'emparant de l'arme. Quoi, encore ?

Heureusement, celle-ci vint à la rencontre de l'argentée, observant quelque peu la lame avant de la ranger dans son fourreau, tendant le tout à sa propriétaire. Cette dernière tiqua un moment, avant de secouer légèrement la tête pour remettre ses idées en place. Elle rattacha le fourreau à la lanière à sa taille, à sa ceinture sous laquelle était dissimulée sa clef. Même si elle était fière de son rang de Venister, elle préférait garder l'artefact à l'abri, question de prudence.

- Tiens, reprend-les.
- Merci, marmonna la jeune épéiste, songeant quand même qu'une vague était peut-être légèrement excessive pour arrêter un môme, je sais pas ce que j'aurais fais sans. Eh, toi !

Derrière l'autre fille, dont elle avait repéré les très jolis yeux bleus et les cheveux noirs brillants, comme humides, le petit flûtiste se relevait en se massant l'arrière-train, avant de commencer à s'éloigner discrètement. Interpellé, il reprit sa course mais fut rapidement rejoint par Clara, qui lui attrapa l'oreille du bout des doigts avant de tirer doucement dessus.

- Dis voir, on ne t'a jamais appris que le vol c'était mal ?

L'argentée jetait un regard réprobateur au petit, tenant fermement son oreille, tandis que ce dernier se débattait en râlant pour qu'elle le lâche, rouge de honte. Autour d'eux, quelques personnes s'étaient retournées et riaient de la situation.

- Je vais te lâcher, et tu vas courir très loin d'ici pour que je ne te vois plus, et arrêter de voler. Compris ? Sinon, je te garantis que je te le ferai regretter, gronda la demoiselle d'un air menaçant qui pétrifia le petit musicien.

S'immobilisant, ce dernier acquiesça lentement, d'un léger mouvement de tête, avant de prendre la fuite tandis que son bourreau le lâchait. Cette dernière ricana un peu et retourna voir celle qui l'avait aidé, lui tendant la main avec un sourire.

- Clara Fuyumi. Et tu es ?

Éberluée.

S'il avait fallu choisir un adjectif pour décrire l'état de Clara au moment présent, cela aurait certainement été celui-là. La brune, non satisfaite de lui administrer un vent mémorable, semblait absorbée par la contemplation de quelque chose – ou quelqu'un ? - derrière l'argentée, et que cette dernière ne voyait pas. Baissant la main, elle risqua un regard par-dessus son épaule et s'immobilisa brusquement en découvrant une femme en furie qui se rapprochait des deux filles. A en juger par le sang qui tâchait ses vêtements et par le couteau qu'elle tenait, ce devait être une bouchère de la ville …

Par chance, si on pouvait appeler ça de la chance, elle ignora la Venister de glace et se planta devant sa comparse, son regard meurtrier renseignant plus ou moins sur la suite des événements. Fier de lui, le petit flûtiste revint à la charge et vint câliner ce qui semblait être sa mère dans un élan de chagrin typiquement enfantin – et terriblement bien joué, quel comédien … A mesure de son récit, Clara sentait la haine de la bouchère s'amplifier à la même mesure que la peur de sa malheureuse victime.

- Hé hé ... On pourrait s'entendre, non ... ?

Visiblement, la femme n'avait que faire d'une possible entente, bien décidée à en découdre avec l'insolente qui avait ose mouiller son fils chéri. S'engagea alors une course-poursuite insensée, durant laquelle l'autre magicienne jeta – une fois de plus – une vague à son adversaire, si forte cette fois que Clara dût se décaler d'un bond pour ne pas se retrouver détrempée elle aussi. Mais visiblement, la bouchère n'en avait que faire ; courant avec toujours autant d'ardeur, elle semblait hystérique, agitant son couteau en proférant des menaces.

Jetant un coup d’œil au petit flûtiste resté à côté d'elle, l'argentée décela un petit sourire en coin éclairant son visage. Il était fier de lui, le mécréant … Confortée dans son idée que ce n'était pas un petit garçon ayant pris une mauvaise voie mais bien un petit morveux de première, Clara l'attrapa par le col pour pas qu'il ne s'échappe, lui jetant un regard si meurtrier que le petit n'osa protester. Par chance, la bouchère n'était pas trop loin, et trempée de la tête aux pieds, en plus … Se concentrant, la magicienne tendit sa main libre devant elle, en direction de sa victime, et gela lentement l'eau sur sa main tenant le couteau, ainsi que sur ses pieds. Ça risquait d'être douloureux, mais elle ne lui avait pas laissé le choix … Et puis comme ça, elle et la brune étaient quittes.

La danseuse attendit l'arrêt complet de la bouchère enragée pour se rapprocher, traînant à moitié le petit flûtiste qui semblait à nouveau au bord des larmes. La femme, en partie gelée, lui lança un regard assassin que Clara lui rendit bien, et commença à la menacer elle aussi.

- Écoutez, quand on sait pas élever son môme on vient pas en plus menacer les gens dans la rue. Votre petit ange, il m'a piqué mon arme, et la demoiselle ici-présente n'a fait que m'aider à la récupérer.

Visiblement, la mère du petit monstre n'en croyait pas un mot. Agacée, l'argentée se baissa et, attrapant un des poignets du jeune voleur, le força à lever la main. Sur sa paume, des stries brunes s'étalaient, semblables à des marques causées par du cuir ayant déteint.

- Vous voyez ? Il l'a serrée si fort que le cuir de la garde a déteint sur ses mains. Il n'a eu que ce qu'il méritait, conclut-elle en jetant un regard sévère à la bouchère.

[Rp fini]